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[CR] Vincent Platini (U Kassel): Enquête sur une littérature méprisée: le Krimi du Troisième Reich (CR séminaire doctoral, 11 mars 2021)

Séance du séminaire doctoral organisée par Bernard Banoun le 11 mars 2021

Vincent Platini (U Kassel): Enquête sur une littérature méprisée: le Krimi du Troisième Reich

Vincent Platini est romaniste à l’université de Cassel (Universität Kassel). Après son doctorat en littérature comparée à Paris-Sorbonne en 2010, il s’est consacré à l’étude du divertissement populaire et du roman policier sous le IIIe Reich, à la Freie Universität de Berlin. Il présente les résultats de ses travaux publiés en 2014 sur le genre policier (Kriminalroman ou Krimi).

L’étonnement de Vincent Platini face à une lacune sur l’étude du Krimi après la période de Weimar fut le point de départ de ses travaux. En tant que littérature ‘de divertissement’ (Unterhaltungsliteratur) associée à la culture de masse, le Krimi est parfois considéré avec dédain, mais le Krimi du IIIe Reich est aussi regardé avec méfiance. Très peu documenté après 1933 voire présenté comme inexistant, il se trouve dans un angle mort de la recherche, qui a pu être aggravé par une suspicion de contamination idéologique. En effet, il fut souvent soupçonné de diffuser une propagande implicite du régime nazi.

Cependant, le genre est également peu estimé par le régime du IIIe Reich, qui le voit comme une forme mineure de littérature. Les Krimi, pourtant publiés en nombre, sont par exemple peu évoqués dans les journaux de l’époque. Paradoxalement, cela pouvait laisser à leurs auteurs une plus grande marge de manœuvre pour contourner la censure.

Les objectifs de la méthode furent doubles: constituer un corpus à la fois représentatif et exemplaire de Krimi et esquisser le cadre de production et de réception de ces œuvres. La recherche s’appuie sur les études d’influences et l’étude des discours et s’intéresse aux conditions concrètes qui déterminent la production, comme le rôle des éditeurs, de la censure directe et indirecte, et les possibles contradictions des différentes injonctions idéologiques et commerciales. Un enjeu est de chercher les écarts à la norme et de les interpréter sur le plan esthétique mais aussi idéologique, fan de montrer les tactiques littéraires de camouflages en marge du genre. Comment un auteur sous la tyrannie peut-il exprimer des idées hétérodoxes en évitant la censure tout en se dévoilant au lecteur attentif?

Parmi les quelques 3.000 nouveaux titres de Krimi parus sous le IIIe Reich, Vincent Platini définit un corpus d’une centaine de romans, dont une cinquantaine analysés, ainsi qu’une vingtaine de films. Il en dégage 4 catégories. La première est celle des best-sellers comme Die Spur im Hafen de Georg van der Vring, vendu à 350 000 exemplaires. Ensuite, la majorité des œuvres représente la “masse grise”, des romans divertissants de plus ou moins bonne facture et manifestement apolitiques. Dans cette seconde catégorie se dissimulaient également des auteurs que le régime n’aurait pu tolérer autrement, par exemple Stefan Brockhhoff, pseudonyme de trois auteurs juifs, marxisants et homosexuels. La troisième catégorie comprend les auteurs affidés au régime, faisant la promotion de la police allemande. Enfin, la dernière catégorie est celle des auteurs déviants ou résistants, notamment Adam Kuckhoff, auteur de Strogany und die Vermissten.

Vincent Platini a montré comment certaines déviances ont été possibles. Sa recherche dégage les points de changements et les transformations au sein des Krimi. Un exemple, la disparition progressive de la figure du Juif, pour laquelle deux hypothèses sont émises : soit il s’agit d’éviter les thèmes de propagande pour mieux se consacrer au divertissement, soit cette occultation reflète la volonté d’effacer définitivement le personnage du Juif de l’imaginaire collectif.

Vincent Platini souligne que sa recherche peut être approfondie par une périodisation plus marquée, par des outils herméneutiques complémentaires et en relativisant la place de la résistance dans le Krimi allemand. Cette exception, assez rare au vu de l’ensemble des publications de Krimi à l’époque, a particulièrement retenu l’attention de sa recherche pour son caractère justement exceptionnel. Enfin, l’étude de la réception des Krimi à l’époque du IIIe Reich est un champ d’étude encore à explorer.

Compte rendu rédigé par Claire Selosse (doctorante en Études germaniques, REIGENN)

Bibliographie: L’étude de Vincent Platini a permis la constitution d’une anthologie de nouvelles policières du IIIe Reich traduites, ainsi que la publication d’un essai sur la culture de masse:

Le carnet de recherche de Vincent Platini: Les voix tues.

claireselosse

Professeure agrégée d'allemand. Doctorante en Études Germaniques (Sorbonne Université) pour REIGENN (EA 3556, http://reigenn.sorbonne-universite.fr)

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
claireselosse (26 mars 2021). [CR] Vincent Platini (U Kassel): Enquête sur une littérature méprisée: le Krimi du Troisième Reich (CR séminaire doctoral, 11 mars 2021). Ailleurs germaniques, nordiques et néerlandophones. Consulté le 17 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tkhj


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